"La Mort sur un cheval pâle" par Turner.
Squelette tombant d'un cheval
ou La Mort sur un cheval pâle (?),
J.M.W Turner (1775-1851), RA,
entre 1825 et 1830.
Huile sur toile, 59,7 x 75,6 cm.
Londres, The Tate Gallery.
Rien qu’à regarder ce superbe tableau de Turner on en entend presque la Danse macabre de Camille Saint Saëns (1835-1921) ; même si lorsque le compositeur est né, le maître anglais avait déjà abandonné son projet depuis cinq ans !
Le squelette, portant un diadème et monté sur un cheval fantomatique avec une robe aux reflets verdâtres, lancé dans un galop effréné au milieu de nappes de brumes, se renverse dans une posture surprenante et inquiétante, comme s'il était en train de se baisser pour saisir des victimes hors champ, peut-être même le spectateur ! La tête aplatie et sans oreilles de la monture semble s'inspirer des chevaux sculptés les plus abîmés de la frise du Parthénon à Athènes.
Cette toile très atypique de Turner est probablement tirée de la Bible, plus précisément du chapitre VI de l'Apocalypse selon Saint Jean et qui prédit l’apparition, le Jour du Jugement Dernier, de quatre cavaliers symbolisant le pouvoir politique, la guerre, l’économie et la mort.
"Quand l’Agneau brisa le quatrième sceau, j’entendis le quatrième être vivant qui disait : "Viens !". Je regardais et je vis un cheval de couleur verdâtre. Celui qui le montait se nomme la Mort, et le monde des morts le suivait. On leur donna le pouvoir sur le quart de la terre, pour faire mourir ses habitants par la guerre, la famine, les épidémies et les bêtes féroces." Saint Jean, Apocalypse, (6.7-8).
Mais les historiens de l'art ne sont pas tous certains de l’identité du personnage car le titre est en fait posthume. Ce travail inachevé semble avoir été inspiré à Turner par la mort de son père qui l’affecta beaucoup, en 1829, mais ce n’est qu’une hypothèse.
Voici un très bel exemple de ce que l’on appelle en peinture le Sublime, c'est-à-dire une vision romantique - typique de la première moitié du XIXème siècle - de l’homme impuissant face aux colères divines ou de la nature, incapable d’échapper au temps et jouet de forces obscures.
L'allégorie de la Mort sur son cheval est très présente dans la littérature et la poésie de l'époque, surtout en Angleterre ; en France, elle intéressa Charles Baudelaire (1821-1867) qui après avoir vu une gravure de Joseph Haynes (1760-1829), Death on a Pale Horse, composa ce magnifique poème :
"Une gravure fantastique
Ce spectre singulier n’a pour toute toilette,
Grotesquement campé sur son front de squelette,
Qu’un diadème affreux sentant le carnaval.
Sans éperons, sans fouet, il essouffle un cheval,
Fantôme comme lui, rosse apocalyptique,
Qui bave des naseaux comme un épileptique.
Au travers de l’espace ils s’enfoncent tous deux,
Et foulent l’infini d’un sabot hasardeux.
Le cavalier promène un sabre qui flamboie
Sur les foules sans nom que sa monture broie,
Et parcourt, comme un prince inspectant sa maison,
Le cimetière immense et froid, sans horizon,
Où gisent, aux lueurs d’un soleil blanc et terne,
Les peuples de l’histoire ancienne et moderne."
Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal (Spleen et Idéal LXXI), 1861.
Le thème du "sabre qui flamboie" est surprenant puisqu’on ne le retrouve pas dans la Bible mais le poème est tout à fait dans l’esprit de la toile de Turner même s’il ne s’en inspire pas directement. Chapeau monsieur Baudelaire !
Encore un tableau à ne pas rater, à la Tate Britain de Londres, je l’y ai vu lors de mon voyage à Londres, au printemps 2006 !
D.